Bonjour les ami·es,
Le temps file, cela fait plus de six mois que je n’avais pas fait d’interview pour Présages, shame on me. Pour ma défense, je suis bien occupée à travailler sur un gros projet (je vous le révèle à la fin de la newsletter : quel suspens !) Un nouvel épisode arrive tout bientôt, et il est - évidemment - passionnant.
En attendant, je vous invite à écouter le merveilleux épisode Rétrospective Afrotopiques, enregistré en public à la Gaité Lyrique en mai, avec sa créatrice, la fabuleuse Marie-Yemta Moussanang, et co-animé par Seumboy Vrainom € et moi-même
Je vous invite aussi à sauver la date : je serai le 4 juillet à l’apéro-débat “La Panique Woke - Anatomie d’une offensive réactionnaire” à 19h au bar-restaurant le Jolie Môme, dans le 20ème arrondissement de Paris. On analysera et démontera les paniques morales réactionnaires avec M Alex Mahoudeau, et ça va être super.
Pour tout dire, j’avais un peu la flemme de reprendre les entretiens et leur routine.
Préparer, enregistrer, monter, diffuser et communiquer sur les épisodes prend énormément de temps, dans des semaines qui ne sont pas extensibles. Travailler, militer, jardiner, prendre soin d’un enfant et de chiens, s’amuser, nourrir ses amitiés, faire un peu de sport, cuisiner, garder un lieu de vie à peu près propre, et dormir … c’est déjà beaucoup trop, trop dense, trop intense. Ce n’est pas un scoop, l'expérience majeure de la modernité, c’est l'accélération du temps et l’aliénation qu’elle génère, comme le décrit Hartmut Rosa : “l'accélération technique, l'accélération des transformations sociales et l'accélération du rythme de vie, se manifeste par une expérience de stress et de carence temporelle”.
En attendant la révolution et une société libérée du travail salarié, j’essaie tout de même de faire rentrer tout ça dans le temps imparti.
Parfois ça passe, parfois ça ne passe plus et je me noie dans des verres d’eau, je panique devant l’ampleur des tâches. C’est bien le problème : faute de suffisamment de temps, des activités de plaisir deviennent des tâches à gérer. Expérience de stress et de carence temporelle, donc.
Je prends des résolutions que je ne tiens pas. Et finalement, entre deux instants de panique, je me dis que ça n’est pas si grave, que ça va aller. A trente-huit ans et demi, j’apprends à mieux dégager le temps qu’il faut pour faire chaque chose selon mes bonnes et mauvaises habitudes : à mi chemin entre la trop grande anticipation et la dernière minute.
J’arrêté de commencer une tâche mille ans à l’avance, car je sais qu’une tâche ne prendra que le temps que je lui donne. (sur un sujet connexe, la chouette newsletter CDLT parlait récemment de l’ennui professionnel, du temps et de notre peur du vide). J’accepte de bâcler certaines choses, pour mieux en faire d’autres.
Pour regagner du temps, je pourrais arrêter tout un tas de trucs inutiles. J’ai déjà commencé par supprimer (de nouveau) Instagram de mon téléphone. Je pourrais mieux m’organiser et arrêter de procrastiner.
Ce que je ne veux pas, outre le fait de passer du temps avec la merveilleuse personne dont je suis le parent, c’est renoncer aux activités militantes/engagées, qui me prennent certes du temps, mais qui m’apportent surtout de la satisfaction, de la camaraderie, de la joie, et un petit sentiment d’utilité.
S’organiser collectivement, ça prend du temps. S’éduquer, apprendre, se former, ça prend du temps. L’auto-gestion, ça prend du temps. La démocratie directe, ça prend du temps. C’est le temps qu’on doit prendre pour refuser ce monde, lutter contre toutes les oppressions, s’impliquer dans les luttes sociales, défendre le projet de société que nous voulons, et commencer à en expérimenter concrètement les principes et les valeurs.
Au cas où vous n’auriez pas remarqué, il est minuit dans le siècle. Guerres, génocides en direct, offensives réactionnaires et montée du fascisme partout, chaos et backlash écologique, euthanasie pour tous·tes, justice nulle part.
On vit dans une saucisse dystopie, et certain·es le vivent déjà beaucoup plus que d’autres. ça ne va pas s’arranger en claquant des doigts. Il nous faut trouver du temps pour agir, soutenir les luttes, débattre, s’engager dans toutes les luttes d’émancipation, pour changer la fin du très mauvais film dans lequel nous vivons. On manque tous·tes de temps, et pourtant, pour beaucoup d’entre nous, le temps, ça se trouve. Surtout quand on a un paquet de privilèges et que notre vie n’est pas mise en danger par l’air du temps, justement.
Jusqu'à l’an dernier environ, je m’étais engagée ponctuellement, dans de petites actions, des manifs. Je me positionnais plutôt en dehors des luttes, je me disais aussi que Présages était ma façon de faire ma part. J’avais contacté plusieurs associations, mais ça n’avait pas fonctionné. Soit parce qu’on ne m’avait pas répondu, soit parce que le cadre ne me convenait pas. Plus généralement, je n’avais pas trouvé un cadre militant qui corresponde à tout ce que je voulais défendre : un monde émancipateur pour toutes et tous.
Trouver son endroit, ça aussi, ça prend du temps.
Il faut tâtonner dans le milieu militant, associatif, syndical ou politique. Ce n’est pas un service à la carte qu’on peut choisir en un clic. Mais ça vaut le coût, ça vaut le temps qu’on y met. Parce qu’il est encore temps de lutter et d’oeuvrer pour un monde moins pire, mais que la fenêtre de tir est toujours plus étroite.
Tout ça pour dire qu’en attendant le nouvel épisode, je vous laisse avec des recommandations de trucs absolument passionnants et importants (indispensables ?!) à lire, écouter ou regarder.
A LIRE
White Women, Everything You Already Know About Your Own Racism and How to Do Better
un livre-manuel destiné au femmes blanches qui veulent démanteler la suprématie blanche, arrêter d’être gentilles et faire face à leurs biais et comportements racistes
Pour un antifascisme antivalidiste, sur le besoin de tenir ensemble antifascisme et antivalidisme, texte d’autant plus important dans un contexte de débats parlementaires sur l’euthanasie qui jettent en pâture les vies des personnes handicapées.
En Kanaky, la terre est le sang des morts, un article de blog d’Edwy Plenel qui m’a permis de mieux comprendre l’historique des enjeux coloniaux en Kanaky (voir aussi cette vidéo de l’émission Rhinocéros : la révolte des kanaks et les pauvres colons)
Aussi dans ma pile à lire, quand je pourrais : L’invention de Paris, d’Eric Hazan, La charge raciale de Douce Bidondo, Rue des Pâquerettes de Mehdi Charef (lire aussi l’article « Littérature beur » : une génération née dans la douleur), Touched Out - Motherhood, misogyny, consent and control, de Amanda Montei, La Parole aux négresses de Awa Thiam, Premières secousses des Soulèvement de la terre. Mais aussi des trucs plus légers comme Funny Story de Emily Henry
A VOIR
Better Off Dead? documentaire de la militante anti validiste Liz Carr sur le suicide assisté et l’euthanasie, qui met la lumière sur les enjeux de ces lois pour les personnes handicapées.
Sur l’euthanasie, voir aussi l’interview d’Elisa Rojas par Daniel Schneidermann sur Arrets sur images
Samuel, série animée de Emilie Tronche : c’est tout simplement somptueux, doux et délicat, et ça parle de l’enfance dans les années 2000.
Little Bird, mini série de 6 épisodes de fiction. ça parle de la rafle des enfants autochtones au Canada dans les années 1960 : des années 1960 jusque dans les années 1990, le gouvernement canadien a enlevé, arraché à leur famille plus de 10 000 enfants (peut être jusqu’à 20 000), pour les placer en pensionnant , les assimiler à la culture dominante, puis les faire adopter par des couples blancs.
Je n’ai encore regardé que les 2 premiers, mais je sais déjà que cette série restera dans ma mémoire longtemps. J’avais très vaguement entendu parler de cet épisode qui n’est pas encore de l’histoire ancienne puisque les enfants en question sont aujourd’hui encore vivant·es.
C’est l’histoire d’un génocide culturel, c’est l’histoire intime de la colonisation. C’est bouleversant. Ces arrachements ont détruit évidemment des milliers de vie, des familles, et des communautés.
Si la rafle telle quelle a cessé, « Le nombre d’enfants autochtones placés n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui », dû à un système de signalement empreint d’un racisme systémique.
Pour un peu plus de détails sur cette rafle, voir cet article (je poursuivrai mes recherches bientôt)
J’ai tiré sur Andy Warhol - Scum Manifesto, documentaire d’Ovidie
“Qu'est-ce qui a poussé l'Américaine Valerie Solanas à écrire un manifeste prônant l’éradication des hommes et à tirer sur Andy Warhol ?” ça parle féminisme, radicalité, misandrie, et folie des femmes en retour des violences
A ECOUTER
Au procès des folles, un Podcast à soi : sur les expertises psychiatriques des femmes victimes de violence.
Et l’épisode suivant sur la thérapie féministe (ça change la vie 💜)
Deux séries LSD La série documentaire exceptionnelles :
Féminicides, la guerre mondiale contre les femmes - une série de Pauline Chanu qui expose et explique le continuum féminicidaire dans le monde. C’est un travail exceptionnel, souvent très dur à écouter, mais indispensable pour comprendre comment se maintient un système qui permet aux hommes de tuer en masse les femmes
Les enfants peuvent-ils parler ? de Clémence Allezard. Un traitement magistral d’un sujet qui m’interpelle et me passionne depuis quelques temps. Sur la place des enfants dans notre société, et leur statut de classe dominée, subalternisée, et exposée à de multiples violences.
« 20 000 lieues sous ma chair » par Caroline Pothier
Encore heureux, Faut-il faire disparaître le genre ? pour remettre rapidement les points sur les i sur les enjeux de genre, avec Morgan Noam au micro de Camille Teste
Conpassion, un podcast génial pour se plonger dans les dimensions sociales et politiques du handicap, par le prisme de témoignages de personnes concernées par le validisme
Edwy Plenel, une vie d’enquêtes - les secrets de fabrication de dix enquêtes mythiques sur lesquelles Edwy Plenel, qui a récemment passé la main de la présidence de Mediapart, a travaillé au cours de sa carrière.
Voilà pour la sélection.
Et maintenant, si je vous parlais de mon gros projet en cours ?
J’écris un livre (Etait-il TEMPS ?). D’accord, mais un livre sur quoi ? Hé bien, il ne traitera pas d’écologie, ni de chiens, ni de noisettes.
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