Ecrire un livre.
Bonjour à vous,
je vous écris depuis le dernier jour de vacances avant ma rentrée, dont je sens le souffle frais tout près de moi, même si je reste jusqu’au bout absorbée dans divers bricolage, jardinage, compote des mille deux cent pommes tombées de l’arbre et promenades en forêt. J’ai installé un fauteuil hamac dans ce très grand pommier, et ça transforme l’atmosphère en maison de vacances. Le jeu, c’est de parvenir à se concentrer sur ma lecture tout en esquivant les pommes qui manquent de m’assommer en tombant.
Puisqu’il faut penser à la rentrée, si le coeur vous en dit, vous pouvez noter les dates de la petite tournée de rencontres autour de mon essai Passer l’âge, qui est sorti il y a un peu plus de trois mois déjà :
le 13 septembre de 15 à 16h en dédicace à la Fête de l’Huma, sur le stand des éditions Hors d’atteinte
le 18 septembre à 19h, rencontre à la librairie Un livre une tasse de thé, à Paris
le 23 septembre à 20h, rencontre à la librairie Le Comptoir des mots, à Paris
le 8 octobre, rencontre à la librairie Les Grande Largeurs, à Arles
le 9 octobre, à La nouvelle librairie sétoise, à Sète
Je pensais avoir très envie d’écrire plusieurs newsletters pendant les longues (toujours trop courtes néanmoins) vacances que j’ai eu la chance de pouvoir prendre. J’envisageais d’écrire sur ces premières vacances de maman solo (merveilleuses), de l’énergie et l’enthousiasme dont je déborde et de ma tendance à l’hyperactivité, d’autogestion, de la camaraderie et l’élan qu’elle donne pour lutter, où au moins partager les choses les plus intéressantes que j’ai écoutées, lues ou vues ces derniers temps. Mais je n’ai rien écrit. J’ai fait tout ce qui me plaisait de faire, et m’installer avec mon ordi pour écrire n’en faisait définitivement pas partie.
Néanmoins : hier j’ai écouté la série d’été de mon camarade Victor Duran Lepeuch, créateur du podcast contre le spécisme Comme un poisson dans l’eau (abonnez-vous !), dans laquelle il raconte les coulisses de la rédaction de son livre En finir avec les idées fausses sur l'antispécisme qui sortira le 3 octobre aux éditions de l’Atelier. Je me suis dit que je pourrais aussi vous dire quelques mots sur le cheminement et les conditions de l’écriture d’un essai, et de ce qui se passe après qu’il soit sorti en librairie.
On n’imagine pas (en tout cas, je n’imaginais pas) comme le chemin d’un livre est long, et ponctué d’étapes inconnues du public. Dans mon cas, en réalité, tout a été assez “rapide” à partir du moment où on a défini le rétroplanning et signé le contrat avec mon éditrice Marie Hermann, chez Hors d’atteinte. Quand je dis rapide, c’est un an, quasi jour pour jour, entre la signature et la parution. C’est court, pour le monde de l’édition. Avant ça, cela faisait déjà plus d’un an (printemps 2023) que je faisais mes recherches sur le sujet, en prenant des notes, en lisant des livres et des études autour des enjeux de la midlife, de l’âge moyen, des rapports sociaux d’âge, etc. Après, il a fallu organiser tout ça, et bricoler un sommaire (au doigt mouillé), succinct d’abord, puis détaillé.
Le manuscrit a été rédigé entre mai et novembre 2024, les corrections et moult relectures ont duré jusqu’à la toute fin du mois de mars 2025. C’est peut-être le soulagement d’avoir réussi à finir qui a recouvert les souvenirs les moins agréables. C’est probablement le cas de beaucoup des gens qui écrivent un livre que de passer par tous les états, de sauter d’une heure à l’autre de la phase “omg c’est génial il faut que les gens soient au courant de ça” à “je suis une quiche molle incapable. Et personne n’a besoin de lire ce livre”.
De fait, les états ont variés, souvent dans la même journée : Mais pourquoi, pourquoi je me suis lancée là dedans. J’y arriverai jamais. Comment oses-tu penser que ça mérite d’être imprimé ? Mais bien sûr que tu vas y arriver. Une page après l’autre, un paragraphe après l’autre. Comment je fais pour écrire sur l’intime sans trop en dire, sans être impudique ? C’est absurde d’expliquer ci ou ça, tout le monde est sans doute déjà bien au courant. T’utilises les mots normes et injonctions toutes les deux phrases, tu es une caricature de toi-même. Ajoute une source pour justifier ce fait, pour tous les Jean-Michel Relou qui voudraient te tomber dessus. Quelle indignité d’écrire sur ce concept bourgeois de crise de la quarantaine quand le monde se meurt, que les puissances coloniales exterminent des peuples en direct et que l’on crève de pollution, de chaleur, de soif, de pesticides, de violences. Est-ce que c’est trop radical ? pas assez ? Quand même, c’est intéressant je crois ? jsp.
Des heures d’écriture, j’ai - un peu - oublié la texture et les courbatures, les migraines, les dizaines de boites de tripan et d’ibuprofene, les litres de café et les deux cents douze tablettes de chocolat (provenant de cultures polluantes et coloniales, t’as pas honte ?) qui m’ont réconfortée. J’ai oublié la détresse devant l’écran, les idées pas claires, le doute incessant, le sentiment d’imposture immense. Complexe d’imposture décuplé par la conscience de mon privilège - de classe, de race - d’avoir accès à cet espace-là, l’espace culturel majoritaire, l’espace socialement survalorisé d’être publiée. Alors, si j’avais accès à cet espace, il fallait que je parvienne à mettre ce privilège à profit pour diffuser des idées importantes pour le monde.
Derrière l’observation de “la crise du milieu de vie”, il était bien question pour moi d’interroger ce qu’on appelle le cours normal des existences dans les sociétés “occidentales”, la possibilité et la pertinence de cocher les cases qui nous valident en tant qu’adulte accompli, et surtout, réfléchir à la personne qu’on veut être dans ce monde abîmé pour agir en conséquence.
Pourquoi on se lance dans un tel chantier ? Une réponse pourrait être : parce que je cherchais un livre sur ce sujet, d’un point de vue contemporain, féministe et politique, et qu’il n’existait pas. C’est totalement vrai. Mais soyons honnête, ça n’est pas toute la vérité. Il faut avoir une solide envie de réussir un défi pour parvenir à finir d’écrire un livre. En tout cas c’était mon cas : un défi ambitieux, comme j’aime m’en donner, pour me remplir de stress.
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