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Par Alexia Soyeux
14 févr. · 5 mn à lire
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Une lettre qui ne sera peut-être jamais lue, à quelqu’un dont j’ignore l’existence

Amour et vertige de l’inconnu

Le 14 février on fête l’amour. On dit que les plus anciennes origines de la saint-Valentin remontent à la célébration païenne de Lupercalia, dans la Rome antique, et qu’on y célébrait la fertilité. Je ne fête pas la saint-Valentin, et la débauche de marketing à la gloire de l’amour hétéro romantique et ses rôles de genre binaires me donne une petite nausée. Pourtant cette date a récemment pris une importance dans ma vie.

Il y a deux ans, le 14 février 2022, j’ai fait un don d’ovocytes. Aujourd’hui, j’ai écrit une lettre à une potentielle personne née de ce don, qu’elle pourra consulter, si elle le souhaite, à partir de sa majorité, d’ici 2040.

Un don de gamètes, ça n’est pas un truc héroïque, ça n’est ni courageux ni particulièrement pénible. Je crois en revanche que c’est un acte d’amour, pour donner une chance à une femme de donner naissance à un enfant. Alors cette journée où on célèbre l’amour est l’occasion de parler un peu de ça. Et peut-être vous donner envie de donner vous aussi ?

J’avais décidé de candidater pour faire ce don d’ovocytes un peu plus d’an avant, pendant ma grossesse. Comme pour bien d’autres choses, ce sont les podcasts qui m’ont informée au sujet de l’infertilité, du besoin croissant de gamètes, des modalités pour faire un don, et du détail du processus.

J’avais douté, des mois et des années durant, au sujet de mon désir d’enfant, puis je n’avais rencontré aucun obstacle pour être enceinte. Autour de moi, pas mal de récits de galères de fertilité et de trop longues attentes se multipliaient, pour des couples déterminés, mais qui n’avaient pas la même chance que moi. Alors l’idée s’est imposée sans avoir à y réfléchir plus que ça : quand mon bébé serait née, je contacterais un centre pour faire ce don, sans trop tarder car la deadline est de 37 ans (pour les femmes, 44 pour les hommes).

Pouvoir aider une personne à vivre cette immense aventure qu’est celle de devenir parent, ça me paraissait être une sacrément chouette idée. D’autant plus que, contrairement à moi, les personnes qui sont en attente d’un don sont a priori assez sûres de leur désir.

Des mois ou des années à essayer, à espérer, attendre, se projeter, désespérer, encore puis des mois à consulter des spécialistes plus ou moins bienveillants, et enfin des mois ou des années à attendre, ça fait énormément de temps pour réfléchir et pour s’assurer qu’on en a vraiment envie, de cet·te enfant. Des années à tout essayer, des années d’espérance, de tristesse sourde face au sang qui revient chaque mois, de douleur invisible face à l’entourage qui demande alors et toi, c’est pour quand ? Face à tout ça, donner quelques amas de cellules ne me paraissait vraiment pas grand chose.

Il y a plus de donneuses et de donneurs de gamètes ces dernières années, mais les dons ne permettent pas de répondre à la demande. Depuis la loi bioéthique de 2021 qui ouvre la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, la demande a été multipliée par 8.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2022, 2 077 personnes étaient en attente d’un don d’ovocytes en France. Cette même année, 990 femmes ont été candidates pour faire un don d’ovocytes. En parallèle, 5 650 personnes étaient en attente d'un don de spermatozoïdes, pour 764 candidats au don de spermatozoïdes. (Notez le faible nombre de donneurs masculins, malgré une procédure incomparablement plus simple)

Il faut souligner que la loi sur la PMA exclue explicitement les personnes trans et intersexes, et que de grandes disparités existent sur l’application de la loi, pour les personnes tenues à l’écart de la “norme” blanche, valide, mince. Ainsi, les personnes personnes racisées, les personnes qui vivent avec un handicap visible ou invisible, ou les personnes grosses, ont de fortes difficultés à accéder au parcours de PMA.

Pour un don d’ovocyte, l’attente est de 12 à 24 mois environ selon les centres. Des chiffres qui masque d’immenses inégalités d’accès, en fonction du phénotype notamment. Les femmes noires peuvent ainsi attendre 8 ou 10 ans, du fait du faible nombre de donneuses noires.

Légalement, le critère d’appariement a été supprimé de la loi, ce qui signifie en théorie qu’une femme, de quelque couleur de peau et origine que ce soit, peut décider elle-même de bénéficier d’un ovocyte d’un phénotype différent du sien. En pratique, les centres de fertilité (le CECOS) peuvent interpréter la loi.

Certains médecins ont opposé leur clause de conscience afin de refuser le don d’ovocytes de phénotype blanc à un couple mixte, présumant que l’enfant pourrait être victime de racisme anti-blanc dans sa famille noire” peut-on lire dans cet article de Libé.

J’ai donc contacté le centre de l’hôpital Tenon, et le processus a démarré. Plusieurs mois d’attente avant le premier rendez-vous d’information pour être bien au clair sur les modalités du don, puis tout s’enchaîne rapidement : signature du formulaire de consentement, bilan sanguin, ovarien, questionnaire sur les antécédents de santé pour soi et sa famille, examens des chromosomes avec un caryotype, consultation avec une psychologue, un anesthésiste.

En France, le don est : gratuit, volontaire, anonyme. Par anonyme, il faut comprendre que la donneuse ne peut pas donner à une personne en particulier : on ne peut pas connaître l’identité des personnes qui recevront le don. Et inversement.

L’anonymat est à distinguer du droit d’accès aux origines, pour les personnes issues d’un don.

Au moment où je fais le don, le décret d’application de la loi de bioéthique n’est pas encore passé, j’aurai donc pu encore choisir de ne pas transmettre mes informations. Avec l’application de la loi de 2021, “les personnes issues d’un don de gamètes ou d’embryons peuvent prétendre à leur majorité avoir accès à l’identité du ou des donneur(s) qui ont permis leur naissance mais aussi à des informations non identifiantes”.

La question du droit d’accès aux origines a été un des points de discorde lors des débats sur la loi de bioéthique. Car si la loi prévoit pour les personnes conçues par PMA un droit d’accès aux informations de leur donneur·euse, il fallait nécessairement revoir le sujet pour les personnes adoptées, notamment celles nées “sous le secret”. Il y a une tension entre la reconnaissance des droits de l’enfant d’un côté, et le droit des femmes à avoir la possibilité d’accoucher anonymement de l’autre, à un moment où elles ne peuvent ou ne veulent pas garder l’enfant. Un dilemme qui n’a pas été résolu ; aujourd’hui l’accouchement sous X existe toujours dans la loi.

Les personnes nées sous le secret sont les seuls groupes, en France, qui font l’objet d’un déni de droit : celui de connaître ses origines et celui d’avoir accès à ses antécédents médicaux”, explique l’autrice et réalisatrice Amandine Gay, que je suivais sur internet depuis un moment, et par qui j’avais compris l’importance du droit d’accès aux origines et aux antécédents médicaux

Il était donc évident pour moi que dès que le décret d’application serait passé, je remplirais le fichier pour transmettre mon identité.

Revenons à la procédure : aucun problème à signaler sur les résultats des analyses, je passe le casting, le centre veut mes ovocytes. On décide du mois qui m’arrange pour le don : le plus tôt, le mieux. Le jour où je me rends à l’hôpital pour commencer la stimulation ovarienne, je me sens comme une championne. Je marche dans pénombre humide du petit matin de février, je suis fière de moi. C’est assez évident, mais il faut peut-être le redire :

Quand on donne (du temps, de l’argent, des connaissances, des gamètes), on le fait aussi parce que ça nous fait nous sentir bien. On n’est pas seulement porté par l’amour de son prochain, on en retire quelque chose aussi. Et ce quelque chose, c’est un grand sentiment d’utilité. De faire une chose qui nous parait juste.

La stimulation se passe comme sur des roulettes, je n’ai aucune douleur ni effet secondaire (j’ai lu quelque part que le ressenti de la douleur est différent pour les femmes qui font un don et pour celles qui ont besoin d’une ponction pour elles-mêmes, ce qui me semble faire sens, mais je ne trouve plus la source).

Le jour de la ponction, je suis enthousiaste. L’anesthésie dure 10 ou 15 minutes, je me réveille dans une chambre où on me sert un petit dej. Quelques heures plus tard, retour à la maison. La docteure m’appelle quelques jours plus tard, pour me remercier et savoir si tout va bien.

Quelques mois après que le décret d’application de la loi soit effectif, l’hôpital m’a contactée pour m’expliquer que j’ai le choix de consentir ou non à la transmission de mes informations personnelles. Ils m’expliquent qu’on peut aussi transmettre une lettre, un texte libre, sur mes motivations pour le don.

Tout me semble tellement vertigineux.

J’écris donc une lettre à une personne qui n’existe peut-être pas.

Je pense à cette femme qui a reçu mes ovocytes, j’espère fort qu’un bébé est né de ce don, mais je n’en sais rien. Peut-être qu’une femme a pu être enceinte, peut-être pas, peut-être qu’un bébé est né, peut-être pas. Peut-être que cet enfant devenu majeur voudra accéder à son dossier médical, peut-être pas, peut-être simplement aux données non identifiantes, ou à mon identité. Peut-être qu’il voudra lire la lettre, peut-être pas. Un trou noir d’inconnu.

Je pense à cette femme. Je pense à toutes les personnes qui essaient de concevoir un enfant. Il y a celles pour qui ça prend du temps, il y a celles pour qui ça passera par des épreuves et des douleurs, il y a celles qui ont besoin d’assistance médicale. Il y a celles à qui on ne donne pas ce droit là, parce qu’il faudrait qu’il n’y ait qu’un seul chemin étroit, que le monde reste binaire, féminin masculin, un papa une maman, avec les arguments moisis de ceux qui invoquent la Nature, quand la nature n’a jamais été aussi simpliste et fasciste. Je pense à celles et ceux dont on ne veut pas qu’ils et elles fassent famille, et à la violence que ça jette sur le monde.

Prend-on la réelle mesure de la violence qui leur est faite à cet endroit ? Le message adressé en filigrane n’est-il pas que ces vies-là ne doivent pas être transmises ? Autrement dit, que ces vies-là doivent mourir plus vite ? Que ces vies-là ne sont pas dignes ?”, Juliet Drouar, Sortir de l'hétérosexualité

J’écris cette lettre qui sera peut-être lue en 2040. Rien que la perspective de l’année 2040 me fiche le vertige. ça me renvoie à ma propre décision d’avoir fait un enfant dans ce monde, évidemment. Je ne pense plus trop au futur, ça m’immobilise.
J’écris, au présent, une lettre pour la vie, pour la joie, dans ce monde qui en manque terriblement, mais où subsistent avec force la beauté, l’engagement et la douceur.

Ressources

Les Pieds sur Terre - PMA : la longue attente des femmes noires
Libération - PMA : l’interminable attente des femmes noires

Podcast
Plaisir d’offrir - Klaire fait Grr
(In)fertile
Tant que je serai Noire - Diane - Childfree, j'ai fait un don d'ovocytes

Don d’ovocytes.fr
Don de spermatozoïdes.fr


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